01. DRAME A BUENOS AIRES


« Toro », de son vrai nom Anatole Hakim Ngombez, était un athlétique joueur camerounais, qui avait effectué sa carrière à Nancy, puis Séville, puis enfin à l’Inter de Milan – au moment du drame. C’est en Espagne qu’on l’a affublé de ce simpliste surnom pourtant révélateur de la puissance du gaillard. Avec ses énormes pommettes saillantes, Toro jouait avant-centre ce qui rendait encore plus spectaculaire son style ultra-physique fait de duels rugueux, de détentes impressionnantes, ou encore de tirs ultra puissants.

A Séville, Toro avait appris à connaître son compatriote dit « L’araignée ». Il s’agissait du gardien de but de l’équipe nationale du Cameroun, Peter Boumsong, issu d’une lignée de footballeurs connus. Il avait brillé à Auxerre, comme son illustre grand-père Jean-Alain, puis à Bordeaux, pour arriver à Séville, lors de la dernière saison du Toro en Andalousie. L’araignée était un gardien doté lui-aussi d’une détente exceptionnelle, mais en plus il avait une souplesse impressionnante et un très bon dégagement du pied.  Toro et l’araignée avaient une complicité particulière puisque l’archaïque entraîneur sévillan de l’époque, de nationalité bosnienne, basait une grande partie de sa tactique sur le jeu de tête de ton son attaquant camerounais. Le gardien avait donc pour consigne de dégager très souvent sur son attaquant, pour l’utiliser comme un pivot. Peter et Anatole avaient peaufiné l’approche, notamment quand Séville courrait après le score, et les grandes enjambées du Toro se trouvaient alors en pleine course de longs ballons venus de l’arrière garde, et effectivement bottés par l’Araignée. Toro avait marqué 7 fois cette saison-là sur des tirs à bout portant, et obtenu 3 autres penaltys, stoppé par la défense centrale adverse, dont deux qu’il avait transformés lui-même. Soit l’exacte moitié des réalisations du meilleur buteur du club cette saison-là en championnat et en coupe.

Le dit « Dasaev » est le troisième protagoniste de ce drame. Andrej Curkic, 16 ans, était le gardien du Hrvatska Zagreb, quand le Spartak de Moscou avait détecté en lui des qualités supérieures à la moyenne pour un gardien de but professionnel. Le jour de ses 18 ans, Curkic signe dans la capitale russe un contrat impressionnant pour un gardien, qui le fera évoluer 5 ans dans un club qui accumulera autant de titres nationaux pour autant de saisons. Sa confiance, sa sûreté, ses manchettes spectaculaires sur la ligne, ou encore ses sorties – ont amené la presse moscovite à le surnommer avec le patronyme du plus grand gardien de l’histoire soviétique, Rinat Dasaev. Le « Dasaev » des temps modernes finira par quitter Moscou pour un contrat mirobolant du côté de Monte Carlo, non sans conserver son surnom qui avait déjà fait le tour de l’Europe.

Nous sommes le 21 juin de cette année de Coupe du Monde, dans l’immense stade Boca Junior de Buenos Aires. On y dispute un Quart de Finale de Coupe du Monde sous haute tension, entre le Cameroun et la Croatie. C’est la troisième fois d’affilée que le Cameroun atteint les Quarts de Finale, cette fois « Les Lions indomptables » veulent passer. Toro, leur capitaine, ne veut pas échouer un troisième fois. Cette fois il a le brassard, cette fois il va leur montrer.

Les Croates, plus techniques, mènent 1-0 à la mi-temps. « L’araignée » a dû s’incliner sur une combinaison imparable des hommes des Balkans qui méritaient cet avantage au score. Toro, très remonté, a fortement haussé la voix dans les vestiaires, et revient remonté comme un coucou suisse sur la pelouse argentine. Ses fidèles coéquipiers Ondoua et L’araignée l’encadrent et seront loyaux jusqu’au bout. La partie reprend, mais les africains ont bien du mal à prendre le jeu en main. Les coéquipiers de « Dasaev » sont malins et utilisent tous les artifices pour temporiser le jeu.

On arrive à la 83e minute, toujours 1-0, un drame incroyable va se produire. Ça fait quelques minutes que les Camerounais courent après le ballon, « L’araignée » a pu l’intercepter grâce à une détente impériale dont il a le secret. Quand il se saisit du ballon, il voit « Toro » démarrer une longue course de sprint depuis le rond central. Cela déclenche en lui ce réflexe encore tant utilisé la saison passée. Le long dégagement arrive dans les 30 derniers mètres russes. Entre-temps, Toro a pris de vitesse son garde du corps Leonid Korolev, le ballon rebondit haut à quelques mètres devant lui, alors qu’en face « Dasaev » se rend compte de sa fraction de seconde de retard. Le gardien croate se précipite comme un pantin désarticulé, alors que le costaud bolide camerounais est à pleine vitesse, et attend la retombée du ballon. On est maintenant à l’entrée de la surface de réparation, Korolev est définitivement lâché et Toro va bientôt pouvoir déclencher un tir fulgurant dont il a le secret. Il sait qu’il devrait y mettre tout son cœur, connaissant l’agilité de son duelliste. Dasaev arrive bientôt au point de penalty, mais il a du retard. L’impact entre le puissant pied droit et le cuir luisant du ballon se produit à seulement 12 mètres de la ligne. Toro y a mis tout son poids, ton son cœur. Cette fois, ils doivent passer.

Dasaev est battu, et le ballon contorsionné par la frappe « de mule » de Toro part à toute vitesse s’écraser sur la barre transversale croate. Toro, survolté et encore emporté par sa vitesse, écarquille les yeux dans ce moment de vérité. Le ballon a certes perdu un peu de vitesse en percutant la barre, mais par son angle repart avec une vitesse impressionnante et tout directement dans la figure de Toro, qui se tenait maintenant à hauteur de la ligne des 6 mètres. Le choc est brutal et sourd, le nez de Toro cèdera immédiatement, mais c’est surtout la fracture de plusieurs vertèbres cervicales qui lui sera fatal. Victime du coup du lapin, Toro choit violemment en arrière avec les bras en croix, quant au ballon il sera miraculeusement récupéré par Dasaev incrédule. Au loin, « L’araignée » est désespéré, mais il ne sait pas encore qu’il ne jouera plus jamais avec Toro.

Le Cameroun devra attendre 4 ans de plus pour atteindre le stade des Demi-finales de Coupe du Monde. Cette fois, sans Toro.

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