08. L'INVINCIBLE SZABO


Levi Szabo s’était d’abord laissé surnommer « Mowgli », tant ses qualités de bondissements, de gambades, d’envolées, et son enthousiasme faisaient penser au jeune héros du Livre de la Jungle. De père livreur de colis et de mère institutrice, le petit hongrois s’était inscrit naturellement au football, parce que c’était la pratique dans son village. Après quelques déboires en attaque, le petit garçon souriant et toujours bondissant fut placé entre les poteaux. Ainsi ses copains lui trouvèrent ce surnom sympathique et attachant au gré de cabrioles impressionnantes dans la surface de réparation.

Mais Levi n’en resterait pas là. S’il ne grandit pas autant que la plupart des gardiens de buts (il en resterait à 1m81), il continua à bondir et à développer des réflexes éclairs qui lui construisirent une belle réputation jusqu’au club professionnel voisin de Ferencvaros, une institution traditionnelle du football hongrois. A 18 ans, il devint donc professionnel, et son surnom de « Mowgli » de se faire quelque peu oublier. Et pourtant, les choses évoluèrent rapidement ensuite.

Il gagna sa place en équipe première, puis joua des matchs de Ligue Europa, en se distinguant par l’arrêt de pénaltys et des prestations parfois incroyables. C’est le RC Strasbourg Alsace, qui avait croisé Ferencvaros, qui dégota ensuite un transfert qui fut donc aussi la première expatriation sur une longue durée de Levi et de ses 20 ans. Depuis l’exclusion de l’Union Européenne et la fermeture des frontières hongroises, il n’y avait guère que les clubs de l’Autriche voisine, et de la puissante Allemagne qui parvenaient à obtenir de tels transferts, mais cette fois c’est le club alsacien qui avait su négocier avec les intermédiaires (dont le journaliste Stan Skavelicz selon certaines rumeurs) et les autorités locales.

En devenant alsacien d’adoption, Levi Szabo devient aussi un joueur international de l’équipe de Hongrie, où son talent se révélerait au monde, après qu’il s’entretienne encore en Ligue Europa. C’est à l’occasion d’un Lausanne – Strasbourg en quart de finale de Ligue Europa, que Lévi fut affublé dans les Dernières Nouvelles d’Alsace du qualificatif élogieux de « Szabo, l’invincible ». En effet, alors que les Strasbourgeois avaient remporté le match aller par 2-1, Szabo retint le score à 0-0 dans un match retour où les Lausannois avaient mis toute leur énergie dans ses offensives désespérées pour arracher leur qualification. Rien n’en fit, et Szabo fut l’auteur d’une rencontre absolument exceptionnelle, stoppant un pénalty et repoussant toutes les autres tentatives romandes quasiment à lui tout seul. Strasbourg serait ensuite étrillé en demi-finale, mais surtout parce que Szabo était retenu dans sa sélection.

En effet, « Mowgli » devint définitivement « invincible » lors de la demi-finale de Ligue des Nations opposant l’Italie, grande favorite de cette opposition, et la Hongrie, un outsider imprévu mais qui avait arraché sa qualification au gré de petits scores diablement efficaces. Quelques semaines après le match du Stade de la Tuillière, Levi se retrouvait donc à Turin pour disputer cet Italie – Hongrie, qui symbolisait le retour des Magyars sur la grande scène du football. Et encore une fois, à lui tout seul, Levi Szabo détourna tous les tirs transalpins, de manchettes, de claquettes, mais aussi de blocages solides et de détentes incroyables. 0-0. La Hongrie se donnait une chance d’éliminer le Triple Champion de Monde, en jouant à domicile un match retour d’anthologie.

Et c’est dans le stade de Ferencvaros, en banlieue de Budapest, que se jouerait ce match historique. C’est l’arbitre Mors Brentaniello, qui officierait pour cette rencontre très spéciale, où très peu d’Italiens eurent la possibilité d’encourager la Squadra Azzura.

En revanche, 30000 hongrois s’étaient entassés dans la Gazprom Arena pour ce match du Lundi de Pâques, et espérait une nouvelle invincibilité du petit « Mowgli ». Et encore une fois, Szabo fut un rempart infranchissable, repoussant les coups-francs et même encore un penalty, et préservant un score nul et vierge jusqu’à la fin du temps réglementaire. Les « Mowgli » descendaient des travées dans l’incompréhension de la presse internationale… Et dans sa tenue verte et noire un peu « old-style » et en tout cas plus que « vintage », le gardien hongrois de seulement 23 ans, effectua encore quelques sorties aériennes et dans les pieds que les observateurs de la Juventus de Turin et de l’Inter de Milan ne pouvaient ignorer. 0-0, à la fin des prolongations. On allait aux tirs aux buts, et même Stephan El Shaarawy, le sélectionneur italien, et Sandro Altobelli, le capitaine, ne pouvaient être confiants à l’entame de ce climax.

Le tir d’Altobelli fut repoussé par Szabo grâce à un plongeon fulgurant sur sa droite, comme ceux de Muntana et de Fiore Berger qu’il détourna, alors que Pazmandy et Makay trompèrent le gardien italien. « L’invincible Szabo » avait encore qualifié son équipe à lui tout seul et serait désormais en première ligne pour rejoindre les plus grands clubs européens ou américains. Il fut porté en triomphe.

EPILOGUE

La Hongrie fut battue en finale de la Ligue des Nations par la jeune Grande Bretagne unifiée, du capitaine Cricket, sans déjouée. Pour la Coupe du Monde Coca Cola suivante, la Hongrie, compte tenu de son classement de finaliste en Ligue des Nations, n’avait qu’à se débarrasser de l’Albanie dans un match à domicile, mais l’absence malheureuse de Szabo, blessé, contribua à une défaite 0-1. La Hongrie n’irait pas en Australie.

Quant à lui, Levi « Invincible » Szabo rejoint alors l’Inter de Milan à la saison suivante mais fut malheureusement victime de la violence des attaquants et du championnat italien, et ne put concrétiser une carrière qui s’annonçait pourtant magique.

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